L'insulaire

Il se dit que la vie se divise en chapitres. Quand l’un d’entre eux se termine, une page se tourne et l’histoire continue. Plus simplement, il s’agit d’apprendre à s’élever dans la vie en saisissant les opportunités, parfois en allant les provoquer. Attention toutefois, car à ce petit jeu la moindre étincelle peut aussi mettre le feu aux poudres et faire basculer une vie en un éclair. Incroyables ou tragiques, la plupart de ces destins amorcent alors un virage radical et c’est ici que commencent certains des plus impressionnants ou inspirants récits que l’océan sait si bien nous offrir. Glaçante, remarquable, inspirante, l’histoire de Philippe Naud est un peu tout cela à la fois. Restaurateur et surfeur iconique de l’île d’Yeu, il perd sa jambe gauche lors d’un accident de moto, mais parvient ensuite à hisser le drapeau français sur le podium de nombreuses compétitions internationales de surf. Un parcours qui fait d’abord la fierté de sa famille, de son île, mais aussi de tout un pays. Nous sommes allés le rencontrer dans ce bout de terre isolé de la côte Atlantique pour discuter de ses exploits et des bénéfices d’une vie insulaire au plus proche des vagues.

 

 

« Je suis vraiment le stéréotype du mec qui vient de l’île d’Yeu. Mes parents ont toujours vécu ici, se sont mariés ici. Il y a des marins-pêcheurs des deux côtés de la famille. Je suis ce qu’on appelle un local. »

– Philippe Naud

 

L’Île-d’Yeu vit toute l’année au son du sempiternel fracas des vagues sur sa côte rocheuse. À l’image de l’océan, le surf y est sauvage et puissant. Le meilleur moment pour s’y rendre et espérer croiser Philippe est l’arrivée de l’automne, quand l’effervescence estivale redescend et qu’il reprend le chemin de ses secret spots préféré. « Je suis restaurateur, je peux me libérer du temps, mais jamais en juillet et aout. », commence-t-il. « Le reste du temps, la vie insulaire impose vite son rythme et j’arrive plutôt bien à aligner ma triple vie mêlant travail, sport et famille. Cette vitesse de vie un peu ralentie est vraiment à la cool comparée à celle « d’en face ». On retrouve ici les mêmes locaux, les mêmes activités, les mêmes paysages. Même si les choses évoluent, elles le font sans pour autant se détacher de l’océan et c’est ce qui me correspond. » Ce rapport singulier à l’Atlantique joue parfaitement son rôle de fil rouge dans la vie de Philippe, malgré le chapitre brutal qu’il démarre en 2011.                                                                                         

                                                                                                                                     

« Après mon accident, j’avais un pied complètement en vrac et on m’a dit que ma cheville resterait bloquée à vie. Sauf que moi je voulais pouvoir marcher, courir, surfer et faire tout ce que je faisais jusqu’ici. J’ai rencontré beaucoup de spécialistes qui m’ont dit : « si tu veux récupérer un maximum de tes capacités, il faut amputer ». Ce qu’il décida de faire. « C’était assez compliqué », nous confie-t-il, « mais j’étais prêt à prendre le risque. ». S’en suivent des mois de rééducation, quelques déceptions et remises en question, mais aussi une sacrée dose d’espoir, notamment grâce à l’intervention d’un homme, un prothésiste nantais répondant au nom de  Silvio Bagnarosa. « Tous les prothésistes n’étaient pas d’accord sur le fait que je puisse surfer. Ce n’est pas très bon de mettre de l’eau salée dans le mécanisme, mais Silvio est plutôt du genre à relever les défis et m’a dit l’inverse : « On peut tout faire avec des prothèses. Même si tu vas dans l’eau avec et qu’elles s’usent, je te les changerai au fur et à mesure. Je te ferai remonter sur une planche dans deux mois. » C’est le genre de prothésiste en or, pour qui il hors de question de dire « vous allez devoir arrêter de faire ci ou ça  ». Il me soutient depuis le tout début, il m’a fait renaître ». Et à quelques mois près, Bagnarosa le spécialiste tint sa promesse. « Il m’aura finalement fallu six mois pour remonter sur une planche. J’y allais doucement au début. Je participais simplement à des initiations de para-surf. Mais un jour, il y avait Jean-Marc Saint Geours dans le public. Il est le fondateur et le chargé du développement de l'Association Nationale Handi Surf. Il vient me voir et me demande « Ça ne te brancherait pas de faire de la compétition ? ». Ça n’a jamais été mon truc jusqu’ici, mais je lui ai répondu « Euh, oui, pourquoi pas ! ». Quelques mois après, j’enfilais un lycra pour la première fois et je terminais deuxième aux championnats de France. Deux mois après je décollais pour les États-Unis pour participer aux mondiaux. Je suis arrivé jusqu’en demi-finale. Tout est allé très vite. »  Et le palmarès de Philippe depuis 2019 parle de lui-même : quatre médailles de champions de France en 2019-2020-2021-2022. Et trois podiums aux mondiaux (2ème en 20219, 3ème en 2021 et 2022) le covid l’ayant probablement privé en 2020 d’une quatrième médaille. « Avec un peu d’entrainement régulier, tu peux vite faire des progrès en para-surf. Par contre, je le vois depuis mes premiers mondiaux, le nombre d’athlètes n’arrête pas d’augmenter. On se retrouve avec des concurrents sérieux, il faut faire attention dès les épreuves qualificatives. Le niveau a clairement monté » relève-t-il avant de nous expliquer que tout est pour le mieux. «  À l’arrivée il y a une vraie énergie positive. Si tu es là, c’est que tu en as chié, donc il y a une ambiance de dingue qui vient avec. Japonais, brésiliens, américains, tout le monde se prend dans les bras, tout le monde est content d’être là et ce n’est vraiment pas une ambiance que tu retrouves sur le CT. On met l’orgueil de côté, l’humanité est sincère, bienveillante et ça change tout. »

 

 

Parcourir le monde, porter le maillot de l’équipe de France, vivre à cent à l’heure. Sa vie d’athlète de haut niveau n’est en rien comparable à celle de restaurateur. « Parcourir le monde, que ce soit par les airs ou par la route, c’est assez dingue pour moi qui suis habitué à ma vie insulaire. Sans parler du fait qu’il faut porter le maillot de l’équipe de France. Quand je prends le train ou l’avion, les gens sont fiers et me soutiennent, même s’ils ne me connaissent pas. Il y a une forme de responsabilité de mon côté. » Philippe porte aussi en lui l’héritage du surf ogien, un surf sans filtre et puissant qui mérite son attention. «. La majorité des spots sont hyper techniques et se trouvent sur le « North Shore », la côte nord. Il n’y a que du récif, pas de plage, mais des slabs et des spots de large qui ne sont pas donnés à tout le monde. La plupart sont des vagues sauvages et puissantes. » Comparé aux autres endroits connus sur les côtes françaises, le surf est arrivé relativement tard sur l’île d’Yeu, vers la fin des années 90, mais cela n’a que plus de valeur aux yeux de Philippe qui voit là une nouvelle manière de rapprocher l’Île, ses habitants et l’océan : « La génération de 1975, celle juste au-dessus de moi, était la première génération à surfer sur ces spots. Ils nous ont transmis directement leur savoir à moi et mes potes. Donc on va souvent surfer et proposer la même chose aux petits jeunes qui arrivent. » Car si le surf connaît un gain de popularité sans précédent, y compris sur l’île, la pêche et les activités marines historiques d’Yeu sont, à l’inverse, mises à mal par leur rudesse et leur complexité. « Mon arrière-grand-père, mon grand-père, mon père, tous mes oncles étaient ou sont pêcheurs. Il y en a de moins en moins qui font ce métier, ça se perd, car il faut être vraiment courageux. Je suis un des seuls à avoir sauté la chose. Je tiens quand même à rassurer tout le monde, on est toujours à fond dans la pêche, mais ça reste une passion. Si je veux un lieu, un bar, des morguâtes ou des araignées de mer, je sais où en trouver tout de suite. »

 

 

Les prochains mondiaux approchent et Philippe peut compter sur le soutien de sa famille, notamment celui d’Adélaide, sa femme, qui le soutient depuis le début. Elle est d’une aide précieuse, notamment lorsqu’il s’agit de tenir le business familial quand le champion est à l’eau. Adélaide lui trouve par exemple – sans lui demander  –,  un cuisinier pour le remplacer. Le surf est avant tout un travail d’équipe et encore plus dans le para-surf, où chaque athlète évolue avec un binôme. Quand Philippe se retrouve seul face à l’océan et à son destin, il ne l’est finalement pas tant. Sa famille, son île et son pays sont avec lui. Une médaille olympique se profile-t-elle à l’horizon ? Réponse dans quelques mois. 

03 novembre, 2023 — Mathias Lys Leroy

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